ses rêves en pleine lumière

J'aime qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi. (R. Char)

Au royaume de l’éphémère tu n’es rien. Puisses-tu te sentir libre…

La sueur au front, les muscles tendus, meurtri par l’effort, le visage crispé, il peine à couper, tailler, raboter le bois. Les cheveux pleins de sciure, le torse à découvert, à peine voilé par une chemise à carreaux. Atlas portant le ciel sur ses épaules. Outre la douleur physique, une douleur morale subsiste, une lueur méphitique dans le regard conforte cette impression. Seul et sauvage, une ombre parmi les ombres. Rustique phare de ses aïeux. Tout est à refaire. L’homme moderne veut y séjourner. Judicaël essoufflé, Judicaël battu par les vents.
Un jeune homme passe. Une créature des cieux. Un reflet du soleil. Bousculade interne. Le regard trépasse. La détresse d’un navire.
Du bout des lèvres, la franchise délicate : « Si tu m’aides à apporter cette table à l’intérieur, je t’offre une vue en haut du phare. » Sourire de bravade, fierté du titan. Il passe une main dans ses cheveux pour épousseter la poussière dorée. Il défie soudain, le dos est moins courbé. Il lui fait don de son domaine. Une vue imprenable d’en haut, dans les nuages.

c'est les vagues qui roulent sur les rochers; la tendre brise maritime qui charrie son écume, tout dans un silence qui se fait roi. alors quand là haut y a une mouette qui crie comme pour dore regardez moi, je lève la tête, et j'voudrais lui dire que non, elle est pas si seule dans cet air humide, qu'elle a au moins quelqu'un pour le partager. et puis un peu plus loin, y a cet autre homme qui a l'air d'en baver.
alors je m'approche, je sais pas si je peux lui parler, il a l'air si bousculé. le soleil offre ses bras-rayons à son corps. c'est beau à voir.
et puis, l'inconnu parle, de sa voix chaude et creuse.
il dit de belles choses.
et puis il m'offre un truc.
oh alors, je ne peux qu'accepter !
je m'approche de lui et je soulève la table
mais tu sais j'suis un fragile moi...

J'aime qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi. (R. Char)

Un garçon des marées, du sel sur sa peau de nacre, une apparition éblouissante pour notre colosse, lui, l’homme de l’effort, les muscles saillants et l’autre, aura divine, jeunesse revenue, jeunesse longue et mince. Frêle fierté. Regard qui fuit au-delà, il n’est pas de ce monde, rêve qui s’évanouit. Après un quart d’heure de travaux d’Hercule, Judicaël suggère : « On fait un tour là-haut ? » Il lui tend une bouteille, le genre à aller à la mer. Dedans, un liquide doucement ambré, une citronnade avec un supplément d’alcool, du rhum sans doute. Une boisson d’homme, n’est-ce pas ? « Tu as besoin d’un temps mort. » Léger rire de gorge. La sueur coule du front du garçon. Tu exploites les inconnus maintenant ? Il s’engage dans l’escalier en colimaçon avec son pas assuré, le pas de ceux qui ont vaincu leurs peurs. « D’où viens-tu ? » Des étoiles incertaines ? Résonance dans la carcasse du phare. Voix plus rauque, plus chaude aussi, enveloppante. « Où vas-tu ? » Destinée chevaleresque, identité à réinitialiser ? Des questions murmurées dans sa barbe, il n’assume guère sa curiosité. Il n’aime pas s’aventurer trop loin sur la pente. Il garde cette frontière intacte. Une frontière qu’on n’outrepasse pas.

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