les grandes maisons (stephen)

quand il fait noir, aura elle sort,
une touche de noir sous les yeux,
une grande boucle dans les cheveux.
il se fait tard, elle va dehors.

aura, elle attend un petit moment.
parfois des heures, c'est assez long.
elle fait bien attention avec ses talons,
faut pas trébucher, y'a plein de gens.

quelqu'un approche, un mec aux cigarettes.
il pu la crasse, l'alcool, l'urine, la meth.
alors aura lui fait ses airs de bonne fille,
et il la prend par la taille, ils filent.

mais aura, elle rencontre plein de gens.
elle voit plein de maisons, d'appartements.
elle discerne les peines, les joies épurées,
elle apprend, elle sait distinguer.

cette fois, c'est une maison immense,
aux airs de grand manoir, la chance.
elle se laisse guider, dans la noirceur,
sur la pointe des pieds, tout en douceur.

au moment où elle ouvre le portillon,
de légers bruits égarent son attention..
elle tourne la tête et voit le garçon.
c'est le gamin et ses milles questions.

“ stephen, tu m'as fichu une de ces peurs, merde. ”

elle fait signe au mec pas net d'entrer.
elle va le rejoindre, faut pas s'inquiéter.
son coeur bat vite, ses mains sont moites.
elle fait de son mieux pour rester droite.

“ pourquoi t'es là, c'est pas un peu tard pour toi ? ”

il est presque minuit
tout est si,
noir,
mort.

Le soleil s'était caché derrière l'horizon et la lune dominait le ciel. Dénué d'étoiles, celui-ci était un noir abysse qui pesait sur la terre des hommes.
Stephen regardait à travers les fenêtres du quartier et ne voyait pas le temps passer. La femme habitant la maison d'en face dînait seule comme à son habitude. Elle semblait toujours attendre un invité et attendait que les cloches sonnent vingt-deux heures pour manger, voyant que son invité n'arriverait pas. Plus loin, le copain d'une jeune fille entrait silencieusement par la fenêtre. Pourquoi devaient-ils cacher leur amour ? Stephen notait dans son carnet ce qu'il voyait. Il devait être omniscient, savoir tout ce qui se passait dans son quartier.

Il regarda sa montre et elle affichait minuit. Ses yeux fatiguaient. Il reprit le chemin de son château quand il vit une silhouette qu'il connaissait bien. Elle n'habitait pas ici, pourtant. Un homme sombre l'accompagnait. Un frisson traversa l'échine de Stephen. Il s'approcha d'un pas lent.
Elle se retourna. Aura. La blondinette de la bibliothèque.

- Toi pourquoi t'es là ? C'est pas ta maison.

Il ne répondait pas à sa question, voulant savoir ce qu'elle faisait. Il l'aimait bien Aura, mais elle cachait toujours des choses. Il ignorait tout de sa vie hors de la bibliothèque, même après ses recherches. Il n'avait jamais osé la suivre pour savoir ce qu'elle pouvait bien faire.
Il aurait peut-être dû.

- C'est qui le mec qui était avec toi ?  

haut, très haut, passé les nuages,
la lune est ronde, grosse, brillante.
tout est si sombre, comme une page,
où l'on aurait échappé un pot d'encre.

puis le gamin vient d'arriver,
personne ne l'a vu s'approcher.
il est si tendre avec sa bouille d'ange,
et ses milles questions étranges.

lorsqu'il lui demande à son tour,
ce qu'elle vient faire aux alentours,
elle hésite quelques instants,
ce n'est pas vraiment un bon moment.

“ j'me fais juste un peu d'argent.
 écoute, c'est pas si important. ”

son sang coule à flots dans ses veines,
elle baisse les yeux, elle se sent dénudée;
de peine, de gêne, de honte et de regrets.
pourtant c'est qu'un garçon dans la douzaine.

elle tente un sourire, elle tourne le dos.
elle essaie de s'enfuir, de se faufiler.
mais ça sera pas comme ça, tout beau.
il va se questionner, insister, sans arrêter.

le mec il a pas l'air patient,
faudrait qu'elle rentre,
au plus vite.

Stephen s'approcha.
Elle volait la maison. Il n'arrivait pas à y croire. Il voulait s'arracher les cheveux. Aura, une voleuse ? Non, c'était impossible. C'était l'homme à l'intérieur de la demeure qui l'avait incité à commettre cet acte débile. Elle ne ferait jamais ça. Elle n'était pas une criminelle. Elle était trop gentille pour ça. 

- « Pas si important » ? C'est important pour les gens qui habitent ici.

En tant que roi autoproclamé du quartier Stephen en était aussi le protecteur. Une lourde tâche pour un garçon de douze ans, mais une dont il s'occupait avec brio. Chaque fois qu'il se passait quelque chose de louche, il en avisait les policiers anonymement. Récemment, il avait pu envoyer en prison un mari qui avait été violent avec sa femme et qui avait même menacé de la tuer. Stephen ne disait jamais comment il faisait pour tout savoir. C'était son secret.
Il continuait de s'approcher.

- C'est le gars à l'intérieur qui t'as poussé à faire ça ? 

Il jeta un coup d'oeil vers la porte ouverte. Une silhouette se dessinait dans le couloir sombre. Elle était grande, menaçante. Elle se dandinait d'impatience. Stephen arriva près d'Aura. Même en se plaçant sur la pointe des pieds il était trop petit pour lui murmurer quelque chose à l'oreille ; Stephen était anormalement petit pour son âge. Il lui fit signe de se pencher.

- Tu sais, y'a un système de sécurité. Les flics vont rappliquer.

le gamin il pense qu'elle vole.
il pense qu'il connait tout,
rien vaut mieux que sa parole.
si elle volerait, ça serait pas si doux.

son cœur est de plus en plus haut,
ses maux sont de plus en plus gros.
qu'est-ce qu'il fait là, faut qu'il dorme.
c'est contre son âge, contre les normes.

“ stephen... non, mais tu penses quoi là... ”

elle est pas si mauvaise, aura.
elle fait quelques conneries, c'est vrai.
mais faut pas dire des trucs comme ça.
elle volera pas, elle a pas d'ailes.

puis, étrange comme il est.
il se monte, sur la pointe des pieds.
il tend son doigt, elle doit se pencher,
et elle se penche, tout près.

système de sécurité ?
il va trop loin le gamin.
encore une fois, elle sait pas voler.
il est bien trop malin.

“ stephen!! arrête, je vole pas, j'suis pas là pour ça.
tu veux bien aller t'coucher ? retourne chez toi. ”

le mec à l'intérieur,
il commence a grogner.
une bête prête a attaquer.

Stephen ne la croyait pas. Il voulait la croire, mais ne la croyait pas. Elle prétendait ne pas voler, pourtant tout son comportement montrait le contraire. Stephen soupira. Peut-être qu’il avait exagéré, peut-être que l’homme à l’intérieur habitait ici et qu’Aura était son amie. Il aurait bien voulu partir et la laisser voguer à ses affaires, mais il trouvait ça louche et voulait savoir ce qui se passait.

- Je n’irais pas me coucher avant qu’tu me dises ce que tu fais ici.

Stephen avait haussé le ton. La fatigue s’était emparée de son corps, en commençant par sa tête pour se propager à toutes les parties de son corps. La fatigue amenait avec elle une facilité à l’irritation qui commençait à augmenter en Stephen. Son sens de l’observation laissait place à un flou qui ne lui faisait voir que ce qu’il voulait voir. Si ses paupières n’avaient pas été si lourdes, il aurait pu voir les talons qu’Aura chaussaient, montrant qu’elle n’avait jamais eu l’intention de courir ou d’exercer des activités nécessitant beaucoup de mouvements. Il aurait pu remarquer qu’elle ne portait pas des vêtements appropriés pour un vol, mais plutôt des vêtements qu’on porte lors d’une soirée mondaine. Et il aurait pu remarquer que l’homme avait désactivé le système d’alarme avec un mot de passe et non par la force.
Mais Stephen ne voyait rien.

- Qui est cet homme ? Dis-moi qui est cet homme. Un ami ?

Stephen allait bientôt le savoir puisque ce dernier s’approchait dangereusement du seuil de la porte.