portrait du menteur en jeune garçon

Il était une fois une famille de trois personnes qui se satisfaisait à être un trio. Une maman occupée travaillait tellement d’arrache-pied qu’elle en avait mal aux orteils. Un papa qui partait toujours très tôt et arrivait toujours très tard empestait l’air du vestibule avec les effluves subtils du parfum de sa secrétaire. Puis, une fillette s’acharnait à apprentisser des apprentissages en repoussant les vaines tentatives d’ouverture sociale que les gens de son âge lui offraient. Un trio parfait qui vivait dans un château à deux garages et qui ne s’attendait pas à devoir aménager la pièce vide et poussiéreuse du deuxième pour l’arrivée soudaine d’un second enfant, ruinant l’harmonie du trio pour transformer cette famille parfaite en ridicule et grossier quadruplet. On avait bien tenté de s’en débarrasser avant qu’il ne créer la pagaille mais il était têtu et refusait de quitter son gîte dans le ventre de la maman. Le papa partait encore plus tôt et revenait encore plus tard pour éviter la vue insupportable de l’hypogastre arrondie de la maman. La fillette faisait des cauchemars et se voyait avalée par ce deuxième enfant qui devait son cadet. Après neuf mois d’attente et de craintes le second enfant arriva dans le corps d’un bébé garçon qui s’appropria le nom de Stephen. Le trio était maintenant quadruplet et tout allait changer.


Il avait toujours la maison à lui tout seul. Des hauteurs sombres du grenier jusqu’au profondeur de la cave bétonnée ; il en faisait son palais et lui était le souverain. Il fouillait partout. Il essayait les vêtements trop grands de son père et donnait des réunions à ses partenaires imaginaires. Il se maquillait avec les produits de beauté de sa mère, donnait des baisers à des mouchoirs ivoire pour y tracer la marque rouge de ses lèvres. Il lisait les magazines de sa soeur et y arrachait les pages qui lui plaisait pour les découper et les coller dans sa bible des curiosités. La recherche ethnographique qu’il menait sur sa famille était dûment cataloguée et il animait des symposiums pour sa bande d’amis chaque fois qu’il trouvait un nouvel élément digne de mention. Venait ensuite le forum où chaque membre de la bande donnait son opinion, ajoutait des composantes provenant de leur propre famille. Tous se tournaient vers Stephen quand ils avaient des questions face à l’existence, à la vie et à la mort, car Stephen avait réponse à tout. Il avait vu le tunnel et avait refusé de le suivre, avait vu le passé et le futur. Il racontait ses histoires au groupe attentif qui buvait ses paroles jusqu’aux petites heures du matin ou jusqu’à ce que son règne soit coupé court par l’arrivée subite d’un membre de sa famille. Il devait ranger sa couronne pour redevenir l’enfant de douze ans qu’il était, avec sa voix sonnant comme une vieille porte grinçante et son corps qui se métamorphosait en créature mi-enfant, mi-adulte. Il redevenait l’enfant de douze ans qui avait des problèmes d’enfant de douze ans. Ça le rendait las.

Il attendait toujours le moment où il allait pouvoir remettre sa couronne et reprendre le contrôle de son royaume.