pizza lutèce. c'est le nom du truc, le nom que qu'il doit dire au téléphone en décrochant pour répondre aux commandes. oui bonjour, pizza lutèce, comment puis-je vous aider. lutèce, c'est français comme le propriétaire de la pizzeria, et il a parfois du mal à prononcer le mot, pizza « lutêêz », c'est sa langue qui fourche une fois sur deux. d'habitude on le fout sur un scoot et il trace dans killorick avec sa grosse doudoune floquée « DELIVERY », même si parfois elles arrivent froides, ça c'est quand il pousse la mob jusqu'à la nationale, pour le kiff. aujourd'hui le boss l'a mis à la caisse, il lui fait confiance, blue a été recommandé par le proprio de l'ancien resto dans lequel il bossait avant sa fermeture. « le dernier simons, un gars fiable », il avait dû dire. blue préfère être dans la rue sur le scoot mais la caisse, c'est toujours mieux que derrière, dans la cuisine. y a juste à décrocher le téléphone, aligner quelques phrases, pianoter sur l'écran. les clients sympas avec lui, il transfère leurs pizzas à samie la nouvelle cuisinière, elle prend encore le soin de plus ou moins préparer quelque chose de comestible. les relous, il les file au gros benny, qui crache une fois sur deux dans la quatre fromage.
ce soir, y a personne. il est 22h, fait nuit noire. il lève les yeux de ses jointures crispées et croise son reflet dans le vitre en face, il a envie de se cracher dessus. il tripote son badge « my name is BLUE », qui lui arrache un rictus acéré. il a le prénom des océans déchaînés et du ciel qui tombe dans la mer, pourtant il est là derrière sa caisse enregistreuse avec sa casquette de con et le coeur gris sous les côtes.
on s'emmerde.
à travers la vitre, il aperçoit des cheveux blonds. la porte s'ouvre avec le petit bruit de clochette que blue supporte de moins en moins chaque jour, et les cheveux blonds s'engouffrent dans le local.
c'est junior.
on s'emmerde plus.